mercredi 30 janvier 2008

La langue sur la table: PLQ vs. PQ


Il devient de plus en plus clair que le Québec n'échappera pas à un nouveau débat linguistique. Pour l'instant, l'imbroglio ne porte que sur l'interprétation à donner aux statistiques, mais déjà La Presse et Le Devoir lui consacrent une couverture éditoriale considérable.

Qu'est-ce qui permet, outre la couverture médiatique, de prévoir le retour d'un débat portant sur la langue? Le simple fait que "la protection du français" constitue sans doute le meilleur cheval de bataille que le PQ puisse enjamber dans la situation tripartite actuelle. Le cheval de "la protection de l'identité", d'élevage adéquiste, n'enchantait guère le PQ, qui préfère promouvoir l'idéal d'une société plurielle et moderne. Mais en insistant sur la fragilité du français en Amérique du Nord, Mme Marois peut espérer rallier une bonne partie de l'électorat péquiste du temps où l'ADQ était marginal. Et du coup, le thème de l'identité devient corollaire; l'élection de Mme Marois: probable.

En effet, comme la protection du français est un thème largement identifié au PQ, la recrudescence du débat linguistique ne peut qu'avantager Mme Marois, puisque l'électorat qui est susceptible de trouver convaincant un discours reprenant la thématique linguistique se divise actuellement principalement entre l'ADQ et le PQ. Les groupes qui craindraient un renforcement de la loi 101 sont quant à eux déjà dans le camp du PLQ. D'opinion contraire, Michel C. Auger écrivait la semaine dernière que Mme Marois a tort de parler de langue alors que l'économie devient la préoccupation principale des Québécois, mais son analyse semble reposer sur des prémisses qui prévalaient à l'époque de l'Assemblée bipartite.

Comment le PLQ peut-il se défendre contre ce nouveau discours? Peut-être en accusant Mme Marois d'un mélange de malhonnêteté intellectuelle, de petitesse politique, d'incompétence et de soumission aux éléments plus radicaux du PQ. Déjà-vu? (... Charest vs. Dumont, Charest vs. Boisclair...) Peut-être, sauf que cette fois le PQ est plus uni et donc apte à défendre son chef. Et l'image publique de Mme Marois est loin d'être aussi malléable que celle de MM Dumont et Boisclair. De plus, la thématique linguistique est bien ancrée dans notre culture politique et recevra par conséquent une attention particulière. Il suffirait à Mme Marois de présenter une politique linquistique bien ficelée pour saisir toute l'attention médiatique, mettre Jean Charest sur la défensive, et créer une impression d'urgence qui diminuerait l'importance relative des questions d'ordre économique. Autrement dit, une défense libérale ne misant que sur l'image de la chef péquiste paraît dangereuse parce qu'elle pourrait laisser le temps à Mme Marois de mettre sur rail un train que les libéraux pourraient ne plus savoir rattraper.

C'est dans cette optique que je lis le dernier éditorial d'André Pratte, où celui-ci propose la création d'un Ministère (provincial) de la Population, qui "regrouperait les activités du ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles à celles de la partie «famille» du ministère de la Famille et des Aînés et au volet «application de la Charte de la langue française» du ministère de la Culture."

Le titulaire du nouveau portefeuille devrait avoir fait ses preuves par sa rigueur, sa modération et sa capacité à gérer les crises. Philippe Couillard? Michelle Courchesne? Line Beauchamp?

La création de cette nouvelle entité n'empêcherait en rien le gouvernement d'accorder priorité à l'économie. C'est même le contraire. Le développement économique futur du Québec dépend notamment de l'augmentation de la population. Celle-ci repose sur une hausse du nombre de naissances et sur l'intensification de l'immigration.

Pour que cette dernière ne soit pas vue comme une menace, les mesures en faveur de la francisation des immigrants doivent être considérablement renforcées, tandis que la loi 101 doit être appliquée avec doigté et détermination. Tout cela se tient.

En plus de permettre une action gouvernementale plus forte dans ces domaines, la mise en place d'un ministère de la Population sensibiliserait les Québécois au fait que la croissance démographique est absolument essentielle à leur survie à long terme comme nation originale en Amérique.

Bien qu'André Pratte se soit clairement prononcé contre une récupération politique de statistiques linguistiques incomplètes, son éditorial témoigne de son inquiétude devant la montée de la thématique linguistique. Selon mon interprétation, Pratte estime que la défense libérale devra miser non seulement sur l'image de Mme Marois et sur les thèmes économiques, mais également sur la proposition d'une politique linguistique alternative à celle du PQ. Si Marois dit: "il faut protéger la langue et élire le PQ", le PLQ doit répondre "voici notre plan pour protéger la langue et l'économie" plutôt que "c'est le temps de penser à l'économie alors que Mme Marois ne pense qu'à la langue." De toute évidence, il sera plus facile pour le PLQ de promouvoir une image négative de la chef péquiste si celle-ci doit défendre 'un plan péquiste de protection du français' contre 'un plan libéral de protection du français dans une perspective de croissance économique' que si elle doit défendre 'le français' contre 'la croissance économique'. Si le PLQ a à craindre le départ du train linguistique, mieux vaut qu'il s'y accroche dès maintenant, selon Pratte.

Mais il est à noter que la stratégie promue par Pratte n'est pas la seule envisageable pour le PLQ. Si le diagnostic que je trace est juste, le Premier Ministre pourrait également faire équipe avec Mme Marois pour régler la question avant les prochaines élections et couper l'herbe sous les pieds du PQ. Cette stratégie, appelée triangulation (wiki), a été utilisée par Bill Clinton comme par François Mitterand dans des situations où leur survie politique en dépendait. Avec la bonne dose de spin, elle est généralement couronnée de succès électoral. Il n'est pas exclu, non plus, que Jean Charest décide d'essayer d'imposer ses propres thèmes et de mettre le couvercle sur le débat linguistique: dangereuse stratégie qui laisserait beaucoup de latitude à Mme Marois.


(source photo: editionsvp.fr)

3 commentaires:

lutopium a dit…

Salut. À mon tour de te payer une visite. Très bon article. Analyse sérieuse et approfondie comme on en voit rarement sur le net... Je crois que je vais me déboucher une bière et passer un peu de temps chez vous...

Comme tous les québécois francophones, je veux et je vais me porter à la défense de notre langue. Cette question nous préoccupe tous, malgré les différentes approches et nombreux arguments de nos politiciens. Cependant, je trouve que les questions identitaires, incluant le nationalisme, la langue, l'écriture, etc... occupent une trop grande place dans l'actualité et les débats.

Je pense que ça fait l'affaire de Power Corp, BCE, Alcan, Bombardier et tous les autre chums du PLQ si les citoyens passent leur temps à parler de "culturel" au lieu de se soucier de ce qui se passe avec l'économie. Il est dommage que les forces progressistes du PLQ et du PQ investissent toutes leurs énergies dans ces débats. Pendant ce temps là, on perd des jobs, l'écart de salaire entre les dirigeants et les employés augmente, on privatise tout ce qui bouge, etc...

Oui à la protection de notre langue, oui à l'amélioration de l'éducation, oui à l'indépendance (ou à l'autonomie, on ne sait plus...), mais soyons vigileants par rapport à ce qui se passe autour de nous.

Anonyme a dit…

@lutopium: J'espère que la bière fut bonne. Je suis d'accord avec le diagnostique que tu poses, à savoir que le débat identitaire et constitutionnel nous empêche de véritablement débattre de questions économiques.

Par contre, je suis moins convaincu que Power Corp, BCE, etc préféreraient éviter ce genre de débat. Je crois même qu'ils ont tout à gagner de l'émergence de ce débat. Cela expliquerait en partie l'alliance des forces gauchistes et des forces nationalistes au sein d'un même parti. Leurs discours se complémentent, au point où souvent on n'arrive plus à les distinguer - bien que tu les distingues explicitement dans ton commentaire.

Bonne journée!

Borges a dit…

On se demande pourquoi l'ADQ n'est jamais entrée le débat sur la langue française. Est-ce qu'est-il ne intéresse pas M. Dumont?